L'e-sport aux J-O : une intégration déjà possible ?

En octobre 2017, lors du 6eme sommet olympique à Lausanne, les fédérations internationales et comités olympiques nationaux ont annoncé que "Les e-sports (sports électroniques) de compétition pourraient être considérés comme une activité sportive". Bien que ces propos ne signent aucun engagement ils pourraient laisser présager une arrivée des jeux vidéo aux jeux olympiques un jour. Afin d'en apprendre plus sur ce domaine, nous avons interviewé Pierre Lavernhe dit "Saint Dratz", ancien coach d'équipe e-sport semi-pro sur le jeu League of Legends, jeu compétitif le plus suivi depuis plusieurs années.
      

Les jeux vidéo aux JO, qu'en pensez-vous ?
      

Selon moi, le JV n'aurait pas sa place aux JO, il faudrait une catégorie différente, c’est-à-dire qu'il y a tellement de jeux différents qu'il faudrait des jeux olympiques des jeux vidéo. De plus, les jeux violents n'auraient pas vraiment leur place dans les jeux olympiques historiques, ceux-ci étant plutôt un symbole de paix, de compétition amicale entre les nations. Il faudrait des compétitions à échelle mondiale, mais hors des jeux olympiques.   
    

Quelles différences entre jeux vidéo et sports traditionnels ?
      

La première différence qui me vient à l'esprit est la communication, rapide, intense, brève dans l'e-sport. Il y a énormément de reflexes et d'instinct. Mais il y a finalement beaucoup de similitudes, il faut de l'endurance, de la communication, de la stratégie. La différence majeure est l'entrainement physique, même si jouer longtemps entraine une fatigue physique importante, c'est la partie concentration qui est plus sollicitée et sur une plus longue durée. Par exemple, une finale de League Of Legends peut durer 4 à 5h, et il faut être concentré pendant toute cette durée, tandis que la plupart des sports traditionnels ont un format horaire défini comme les matchs de foot de 90 minutes.

      
Comment préparez-vous votre équipe pour une compétition ?

      
La préparation est très similaire au sport traditionnel, il s'agit de jouer contre des équipes contre lesquelles on peut tomber en compétition, pour tester des stratégies, des compositions d'équipes, et qui permet de s'entrainer contre des joueurs de haut niveau. Il y a aussi beaucoup d'entrainements individuels, dans une semaine avant un tournoi, soit du lundi au jeudi avec le repos le vendredi, il y a 4-5h d'entrainement par jour contre des équipes, et au moins 3-4h d'entrainement individuel. Puis il y a la compétition qui dure tout le weekend. Certaines grosses équipes (surtout les équipes professionnelles) disposent d'une gaming house, sorte de local dédié à la vie et l'entrainement de l'équipe. Les joueurs s'entrainement une semaine en groupe,  et développent donc de meilleurs liens, une meilleures cohésion d'équipe que les joueurs s'entrainant sans être physiquement au même endroit. On retrouve ce lieu commun chez les autres équipes mais utilisé seulement de façon ponctuelle avant une compétition, on appelle ça un bootcamp.

      
Comment se passe un entrainement ? 

L'idée est de travailler l'endurance, le jeu collectif et aussi le niveau individuel. Les joueurs jouent donc en 1 contr1, ainsi que contre des équipes de haut niveau. On cherche vraiment à mettre l'accent tant sur les compétences de chaque joueur que sur leur capacité à jouer en équipe, à avoir une réelle cohésion, à développer leur communication et leur esprit de groupe.
      

Le matériel est-il le même que pour une compétition ?

      

En LAN (Local Area Network, un réseau local reliant des ordinateurs) on amène nos propres périphériques, claviers, souris, car c'est le matériel le plus important. Cependant les casques sont fournis car ils sont très isolants, on joue dans la même salle que le public et que les commentateurs. Les ordinateurs sont fournis pour les demi-finales et la finale, mais ce sont les ordinateurs des joueurs sur les autres phases du tournoi. Pour les demi et finale, il faut cependant refaire tous les réglages. Donc oui, le matériel principal, souris et clavier, est le même tout le temps.
      

Comment rester compétitif et à la pointe de ce domaine ? (Matériel, stratégies, informations ?)

      
Il faut s'entrainer, se renseigner sur les mises à jour, le therorycrafting (l'analyse des mécaniques d'un jeu de façon mathématique pour trouver les meilleures stratégies, compositions, optimisations). Il faut trouver le truc qui va permettre de prendre un avantage. Le matériel (souris et clavier) n'influe pas, c'est une question de goût, d'habitude d'utilisation. Pas comme une combinaison de plongée qui va améliorer les performances physiques. Il faut du matériel qui permet une flexibilité, mais il faut surtout avoir l'habitude de son équipement.
      

Que gagne-t-on lors d'un tournoi ? Pensez-vous que l'e-sport aura un jour la même popularité qu'un sport classique ? 
   

De l'argent (10 000€ pour une "petite" compétition comme la Lyon e-sport) et parfois des équipements informatiques, ainsi que de la notoriété et des potentiels sponsors. L'e-sport a déjà plus de popularité que certains sports à l'heure actuelle, il est juste moins médiatisé, mais quand on voit les mondiaux de League of Legends, les stades remplis, la Paris Games Week, on voit que l'e-sport est déjà un sport avec une très forte popularité, et que la médiatisation progresse.
      

Par contre on n'a pas les mêmes législations qu'un sport classique, par exemple entre le transfert d'un joueur de foot, et celui d'un joueur semi-pro de League of Legends, le second est moins compliqué, il y a moins de cadre même si le milieu pro est plus stricte au niveau des contrats.

Championnat du monde de League of Legends 2014 en Corée du Sud

Est-il possible de voir des cas de triche ?

      
C'est très peu probable, car assez vite détecté, mais on n'est jamais à l'abri. On peut cependant  vérifier et faire vérifier le matériel adverse de la même manière qu'on pourrait démonter le vélo d'un cycliste à la fin de la journée. Et à partir de demi-finale l'ordinateur est fourni, donc la triche est impossible.      

Quelle carrière est envisageable dans ce domaine ? Est-ce suffisant pour vivre ?
      
On peut devenir joueur pro, coach, de façon relativement similaire au foot. Tu peux rester longtemps sur la scène internationale (on en trouve qui sont là depuis 9 ans) et on trouve aussi les streamers professionnels, au-delà des compétitions, qui peuvent filmer des performances de jeu quand ils veulent, et ainsi avoir un contact avec le public qu'on ne retrouve pas dans des sports traditionnels.
      
Mais il y en a quand même peu qui en vivent vraiment, les meilleurs des meilleurs. J'ai moi-même vécu de coaching pendant une année, avec l'équivalent d'un SMIC environ, mais ça reste précaire pour les semi-professionnels.

Une équipe joue-t-elle sur plusieurs jeux ? Si oui, y a-t-il un risque pour que le jeu disparaisse d'une année à l'autre ?
      
Non, car s'entrainer pour rester au top dans un jeu demande trop de temps. De même pour les compétitions, les jeux n'ont pas tous les mêmes vitesses, il ne faut pas les mêmes reflexes ou stratégies.
      
D'une certaine manière, un jeu peut disparaitre, il peut être beaucoup moins médiatisé. Par exemple le jeu Starcraft qui tombe dans l'oubli alors qu'il était dans le top des jeux compétitifs pendant des années. Cependant la reconversion est possible assez facilement, même dans des jeux différents, ou dans des activités annexes comme le stream.

Comment se passe le recrutement pour une équipe d'e-sport ?
      
C'est beaucoup de contact, connaitre les bonnes personnes, il faut être connu, avoir du poids, et pouvoir attirer des joueurs. Et faut que le joueur ait une bonne image, un certain niveau. Mais c'est moins régulé que dans les sports traditionnels, il est plus facile. Par contre les joueurs e-sport ont beaucoup moins d'assurances, car c'est moins institutionnalisé, il n'y a pas de statut, on peut être viré du jour au lendemain. On n'a pas les contrats des joueurs de foot.

Quelle influence ont les sponsors sur une équipe ?       
      
De mon ressenti, ils ont un peu tous les droits, car il y a une grosse dépendance vis-à-vis des sponsors. Le milieu est précaire,  et il est très difficile d'avoir des sponsors. Pour toutes les compétitions il y a des frais : l'équipe et le coach à loger, la participation à la compétition, etc. Il est difficile de ne pas être déficitaire en semi-pro.
      
Cet aperçu de l'état actuel de l'e-sport laisse finalement transparaitre un milieu qui pourrait correspondre à des évènements de l'envergure des jeux olympiques, mais qui est encore à renforcer sur la règlementation et la législation. Son intégration aux J-O pourra se faire sous certaines conditions qui seront définies par le comité olympique, mais ce domaine relativement récent a devant lui de nombreuses possibilités d'évolution.

      

Sources :
http://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/10/29/en-pleine-expansion-l-e-sport-retient-l-attention-du-comite-international-olympique_5207409_4408996.html
      
Merci à Pierre Lavernhe pour son temps et sa disponibilité.

DEMILLY Nicolas et MCKENNA glenn