"L'Histoire de nos jours" : Interview d'un professeur d'Histoire.
Dans le cadre de notre thématique, « L’Histoire de nos
jours », nous cherchons à aborder les différents sujets qui peuvent
concerner l’Histoire à notre époque actuelle d’un point de vue sociétal. Pour
cette interview, j’ai sollicité un ami qui a fait de l’Histoire sa vie,
Jean-Baptiste MUREZ, afin de répondre à quelques questions.
Q – Bonjour Jean-Baptiste et merci d’avoir répondu à ma sollicitation. Premièrement peux tu te présenter pour nos lecteurs ?
R - Bonjour à tous,
Âgé de 29 ans je suis professeur d'histoire et de géographie depuis 2013. J'ai fait mes études d’histoire à Paris, à la Catho et à la Sorbonne entre 2007 et 2012. J’enseigne au collège, au lycée et je suis formateur en master 2 pour les futurs professeurs des écoles. Parallèlement à cela j’étudie toujours : je mène un doctorat en histoire contemporaine à l’Université de Liège et je vais commencer à rédiger ma thèse d’ici quelques mois. Outre l’histoire, je suis passionné par le cinéma, la musique, la littérature et en général tout ce qui touche de près ou de loin à l’Italie et à l’Irlande. Je partage cela sur mon site internet*.
Passons aux questions : le thème qui nous intéresse est l’Histoire, vue et perçue de nos jours. On a tendance à percevoir les jeunes d’aujourd’hui comme désintéressés des sujets culturels et omnibulés par ce qui est véhiculé par la télévision et les réseaux sociaux. De ton point de vue de professeur, est ce que tu trouves que les jeunes générations ont de l’intérêt pour l’Histoire ?
C’est difficile de répondre à cette question. J’enseigne surtout à des jeunes issus de milieux aisés et ayant un bon bagage culturel. Je ne pourrai donc pas prétendre tout savoir. Toutefois, s’il y a une difficulté générale à la concentration, surtout chez les collégiens, et une présence grande des écrans dans leurs vies… Je ne pense pas que cette génération soit non plus « perdue ». Beaucoup de mes élèves ont un réel intérêt pour l’histoire et certaines d’excellentes connaissances et un vrai goût pour l’approfondissement : lectures, visites. D’ailleurs, les moyens numériques sont aussi utiles pour comprendre l’histoire et j’utilise notamment beaucoup de cartes animés, de vidéos et de contenus hébergés sur d’excellents sites comme ceux de l’INA ou de la BNF. Les jeunes ne demandent qu’à découvrir l’histoire !
Très intéressant. Tu me parles des moyens numériques qui sont emblématiques de notre époque, qui permettent l’accès à tout type de contenu et qui contribuent à l’intérêt des jeunes. De manière plus générale, de nos jours, quels sont les moyens existants mis en œuvre pour intéresser le grand public sur les sujets historiques ?
Il y a eu de nombreuses bonnes réformes ces dernières années pour faciliter l’accès à la culture pour les plus jeunes, je pense notamment au fait que les musées nationaux soient gratuits jusqu’à l’âge de 26 ans, ce qui est magnifique. Beaucoup d’expositions et de monuments proposent des activités pour les jeunes également, souvent bien faites, et s’aidant à la fois des moyens traditionnels et du numérique.
Il y aurait il des choses que tu penses intéressantes qui mériteraient d’être mieux développées ou plus répandues pour intéresser les gens toutes générations confondues ?
Je trouve tout de même que plus de communication doit être faite à ce sujet, car beaucoup de gens ne savent pas tout cela. Grâce à ces offres, aux sites internet sérieux de l’Etat et des passionnés qui travaillent dans l’histoire, on peut se cultiver en bonne partie gratuitement ! L’histoire vivante est un bon moyen également. Nombre de passionnés en tenue d’époque, de l’Antiquité aux années 60, savent recréer des évocations solides du passé, souvent sur les lieux historiques.
Il est vrai que notre pays possède un patrimoine historique parmi les plus riches du monde, c’est un atout formidable.
Tout à fait. On ne compte plus le nombre de fortins, de casemates et de vieilles pierres sauvés par des bénévoles, qui ramènent des visiteurs et de l’intérêt dans beaucoup de petits villages autrement peu parcourus.
Je souhaiterais maintenant aborder la question des conflits d’opinions autour de l’Histoire et notamment de la mémoire qui sont plus que jamais d’actualité. Pourquoi ces conflits, existe t-il une « ligne officielle » en Histoire qui se présente comme la vérité absolue et sujette à controverse ?
Pour rappel, les mémoires sont la présence sélective d’éléments du passé dans une société et donc pas tout à fait l’histoire. De manière plus ou moins consciente, certains groupes (anciens combattants, civils, jeunes moins jeunes…) voient donc le passé de tel ou tel œil, se souviennent ou non de certains aspects d’une période plutôt que d’autres. Cela vient fait d’une histoire familiale différente, de créations culturelles (films, jeux vidéo…) qui répondent à des buts précis en termes de ciblage du public, d’une volonté de mettre l’accent sur un fait, quitte à le caricaturer car cela nous arrange etc. Les conflits viennent de là, on dit alors que les mémoires sont conflictuelles : certains voient dans Napoléon un héros, et d’autres un monstre par exemple.
La réalité est évidemment plus complexe. S’il n’y a heureusement pas « d’histoire officielle » en France, qui est un pays démocratique… Il y a bien une ligne scientifique à ne pas franchir, si l’on veut rester sérieux et crédible.
C’est donc le travail des historiens, « scientifiques de l’Histoire » ?
Oui, l’histoire a ses professionnels, dont le travail est sanctionné par des diplômes et concours tout sauf faciles, où ils apprennent à examiner les sources, les trier, les confronter pour donner un récit le plus exact et neutre possible. Cela ne s’invente pas et nombre de personnes qui se disent « historien », et écrivent une biographie par exemple, sélectionnent en fait (sans forcément s’en rendre compte) la matière qui leur permet de confirmer leur idée de départ, souvent préconçue. Elles n’ont jamais étudié l’histoire à la fac, donc appris à examiner des sources de différentes natures, et produites par des personnes, institutions pouvant être opposées à la figure sur laquelle elles rédigent par exemple. Pour reprendre Napoléon, il paraît impensable d’écrire un livre sérieux sur lui sans regarder ce que les républicains, les royalistes, les Britanniques, les Russes et autres pensaient de ce personnage, ont écrit sur lui à l’époque et après.
On trouve en effet de plus en plus souvent des ouvrages "grand public" rédigés par des auteurs qui ne sont absolument pas historiens de formation, et qui pourtant rencontrent un certain succès.
Hélas, beaucoup de gens, qui ont une certaine connaissance en histoire, on ne le nie pas, font pareil : en ne lisant que des livres qui confortent leurs préjugés, en refusant de se confronter à des sommes d’historiens dont c’est le métier. Ils sont pourtant là pour bousculer ce que l’on tient pour acquis ! Car l’histoire n’est pas du spectacle ou un récit fait pour arranger ou stigmatiser. Ainsi, le Moyen-âge (qui dure 1000 ans…) n’était pas une période sombre et sale, non Louis XVI n’a pas perdu le pouvoir en 1789, non les soldats ne sont pas partis la fleur au fusil en 1914 (lire Annie Crépin à ce sujet*), non Pétain n’a pas aidé et protégé de Gaulle en secret etc. Autant de clichés, parfois malsains, qui ont la vie dure alors que les historiens leur ont fait un sort depuis bien longtemps… Mais dont les écrits ne sont pas assez connus et qui doivent lutter contre le complotisme, le négationnisme, le révisionnisme et un certain mépris actuel pour les cursus universitaires classiques, dans une époque où tout le monde se met à tout commenter sans discernement.
« Discernement », ce sera donc le mot de la fin. Merci beaucoup d’avoir répondu à ces questions avec autant de professionnalisme !
* Site internet tenu par Jean-Baptiste MUREZ : L'antre du stratège
* Annie Crépin est une historienne.
L'interlocuteur est bien choisi, bien présenté. Les réponses sont longues, développées, bien retranscrites. Les questions sont développées, ce qui souligne un effort dans la réflexion en amont. Cela vaudrait le coup ensuite de vous intéresser aux difficultés des enseignants d'histoire dans les quartiers difficiles. Un plus pour avoir choisi un enseignant qui nourrit un blog.
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